Les roses de la fête des mères
Quand j’étais petite, le jour de la fête des mères, papa me donnait toujours de l’argent en cachette pour que j’aille acheter un bouquet pour maman. Un jour, en allant chez le fleuriste, je me suis arrêtée, pour plonger mon nez dans une des roses odorantes qui dépassaient de la grille d’une voisine. Celle-ci est sortie de sa maison et m’a invitée à entrer dans son jardin pour en sentir d’autres. Il y en avait de toutes sortes et de toutes les couleurs. Certaines étaient grimpantes et cachaient une partie de la façade.
Quand la dame a appris que j’allais acheter un bouquet, elle s’est écriée: "Garde ton argent, mon enfant. Je vais te faire un beau bouquet pour ta maman". Elle m’a dit que je pouvais composer moi-même ce bouquet. Après mûre réflexion, je choisissais, au fur et à mesure, les roses qui me paraissaient les plus jolies et dont les couleurs allaient le mieux ensemble. Je me rappelle, avec un certain remords, que cette pauvre vieille dame avait été obligée d’aller chercher un escabeau, car j’avais jeté mon dévolu sur une magnifique rose qui se trouvait hors de sa portée. Quelle mauvaise conscience j’aurais eue, si elle était tombée à cause de moi!
Ne voulant pas abuser de sa générosité, je lui ai dit, à un moment, que cela suffisait, mais elle a tenu à rajouter plusieurs fleurs en disant: "Il faut que ce soit un très gros bouquet pour que ta maman voie à quel point tu l’aimes".
Quand je suis partie, après l’avoir bien remerciée, elle m’a dit que je pourrais revenir chaque année, le jour de la fête des mères.
Aujourd’hui, je me rappelle encore son bon sourire, sa générosité et le parfum enivrant qui se dégageait de sa roseraie. Malheureusement, la plupart des roses qu’on vend aujourd’hui ont perdu leur parfum, car les pépiniéristes préfèrent créer des roses qui tiennent longtemps et qui sont plus jolies. Mais il m’arrive parfois de trouver, dans un vieux jardin, une grosse rose d’autrefois et d’y plonger mon nez avec délice (après avoir prudemment vérifié qu’il n’y a pas d’insecte à l’intérieur!). Cela me ramène alors 60 ans en arrière et je me revois, petite-fille émerveillée, tenant précieusement dans mes mains un gros bouquet qui sentait si bon et allait faire tellement plaisir à ma maman.
Si j’étais petite aujourd’hui, je ne connaîtrais sûrement pas cet instant d’immense bonheur, dont le souvenir peut être réveillé, tant d’années plus tard, grâce à un parfum de rose *. Papa commanderait peut-être des fleurs sur Internet. Un clic pour faire son choix, un autre pour payer, et un bouquet impersonnel serait livré à l’adresse indiquée. Mais il y a pire: j’ai entendu à la radio danoise que le bouquet traditionnel de la fêtes des mères était peu à peu remplacé par un SMS. Je trouve cela très triste.
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