Le reflet dans la vitre
Il y a quelques années, il arrivait assez fréquemment que des petits oiseaux se cognent contre la vitre de la cuisine, en venant manger et boire sur la terrasse de notre petite maison danoise. En général, ils s’en sortaient bien. Soit ils repartaient immédiatement en sens inverse. Soit dans le pire des cas, ils restaient quelques secondes par terre un peu groggy. Puis ils se secouaient comme pour se remettre les idées en place, et ils reprenaient leur envol. Mais il y avait déjà eu un accident mortel. C’est pourquoi, en entendant tout à coup un bruit plus fort que d’habitude, je me suis précipitée dehors, pleine d’appréhension.
Je ne comprenais pas ces vols quasi suicidaires étant donné que, de l’extérieur, on voyait bien tous les meubles de la pièce à travers la vitre. Même si celle-ci était invisible pour les oiseaux, il n’y avait aucune raison pour qu’ils essaient d’entrer dans la maison. Et bizarrement, le choc se produisait presque toujours dans la partie basse, au niveau du petit meuble blanc à tiroirs.
Mon coeur battait donc très fort quand j’ai ouvert la porte de la terrasse. Je n’osais presque pas regarder par terre. Quand j’ai enfin baissé les yeux, j’ai vu une petite mésange bleue qui gisait sur le dos, les pattes en l’air et les yeux clos. J’ai d’abord cru qu’elle était morte, mais quand je me suis baissée vers elle, j’ai eu l’impression que sa poitrine se soulevait. Mais je ne savais pas comment la réanimer. Je ne pouvais pas lui faire du "bouche à bec" !
Je me suis alors rappelée qu’une amie m’avait dit un jour que sa perruche s’était envolée de sa cage et avait violemment heurté le mur. Elle lui avait fait reprendre connaissance en lui mettant une goutte d’alcool dans le bec. Trouvant l’alcool trop fort pour un bébé oiseau, j’ai mélangé quelques gouttes de cognac avec de l’eau. J’ai mis ensuite délicatement la petite mésange dans ma main gauche, dans la position où je l’avais trouvée. J’ai glissé quelques gouttes du liquide alcoolisé dans son bec et l’effet a été presque immédiat. Elle a ouvert un oeil, puis l’autre. Puis elle a battu des ailes et s’est remise sur ses pattes, dans le creux de ma main. Un vrai miracle ! Elle ne semblait pas effrayée et me regardait calmement. Les oisillons sont beaucoup moins sauvages que leurs parents. On dirait qu’ils ne savent pas encore que le monde peut être très hostile. Ils ont le même regard confiant que les petits enfants.
J’ai décidé de garder cet oisillon en observation, car il me semblait trop faible pour être abandonné dans la nature. Il aurait en effet pu être attaqué par un de ces petits rapaces qui tournoient souvent dans le ciel, au-dessus du jardin. Leur regard est très perçant et ils peuvent fondre sur leur proie à une vitesse vertigineuse. Et puis à cause de mon traitement, son taux d’alcoolémie devait être trop élevé pour lui permettre de voler en toute sécurité ! J’ai donc décidé de le garder à l’intérieur, devant la porte ouverte, jusqu’à ce qu’il soit complètement rétabli. Ses griffes glissaient sur le parquet, alors je suis allée chercher une feuille de papier de verre. C’est ce qu’on met au fond des cages. J’ai déposé l’oisillon dessus avec précaution. Ses pattes étaient encore flageolantes et il clignait des yeux comme s’il était sur le point de s’endormir. C’était probablement l’effet de l’alcool. Je comptais essayer de lui donner la becquée quand il aurait repris des forces. Mais peu après, je l’ai vu tout à coup battre des ailes. Avant que j’aie eu le temps de réagir, il s’était déjà envolé vers les arbres. J’ai été heureuse qu’il soit indemne, mais en même temps un peu triste qu’il soit déjà parti. Il faut dire que je m’attache facilement...
Quand, un peu plus tard, des petites mésanges sont venues grignoter dans la mangeoire, je me suis dit que "la mienne" était peut-être parmi elles. J’ai regretté de ne pas avoir eu l’idée de lui avoir mis quelque chose à la patte, afin de pouvoir ensuite la reconnaître.
Mais le mystère restait toutefois entier. Pourquoi des d’oiseaux essayaient-ils d’entrer dans la maison ? J’ai découvert un jour, par hasard, la clé du mystère : l’après-midi, quand il y avait du soleil et sous un certain angle, la vitre devenait presque un miroir. A la place du petit meuble blanc, on voyait distinctement le reflet de la mangeoire, vers laquelle ils se précipitaient donc.
Depuis que j’ai éloigné la mangeoire et la coupelle de la terrasse et que j'ai suspendu, devant la vitre, un mobile représentant un gros oiseau, il n'y a plus eu aucun accident. |