Le pigeon voyageur qui ne voulait pas rentrer chez lui
Il y a bientôt deux semaines, j'ai remarqué sur la pelouse, un pigeon qui ne ressemblait pas à ceux qui viennent d'habitude dans le jardin.
Quand je suis sortie pour le voir de plus près, j'ai remarqué qu'il était bagué et que c'était donc sûrement un pigeon voyageur. J'ai essayé de voir ce qu'il y avait marqué, mais il y avait beaucoup de chiffres et je n'ai pas pu tout voir. Comme je savais qu'on pouvait permettre au propriétaire de récupérer son oiseau si on avait tous ces chiffres, j'ai pris plusieurs photos avec le zoom et sous plusieurs angles. A force de persévérance, j'ai fini par avoir tous les renseignements. Il s'agissait du pigeon DAN 100-2013-0247. C'était bien trop long, alors je lui ai donné un diminutif "47".
Je me suis dit que son "GPS" était sûrement en panne et comme je voulais l'aider à retrouver son maître, j'ai téléphoné à l'association de colombophiles danois dont j'avais trouvé le numéro sur le Net. Je suis malheureusement tombée sur un répondeur. Le 5 juin est férié au Danemark. C'est "le jour de la Constitution". Comme ca tombait cette année un vendredi, les bureaux n'ouvraient à nouveau que le lundi. Il m'a donc fallu attendre quelques jours avant de pouvoir contacter son maître et de le rassurer.
En attendant j'ai continué à donner à boire et à manger à "47" . Une fois repu il s'installait sur le toit de la maison. ou bien sur une poutre au-dessus de la terrasse Je m'attendais à tout moment qu'une fois reposé il reprenne sa course et retrouve son colombier. Je savais qu'il était danois puisque le code DAN signifie Danemark, mais il pouvait venir de n'importe quelle partie du Danemark. J'ai fait des recherches sur Internet et j'ai appris qu'un pigeon voyageur peut faire jusqu'à 800 km en une seule journée. Pas étonnant que "47" ait l'air un peu fatigué.
Le lundi matin j'ai tout de suite téléphoné à l'association et en donnant ses références j'ai appris que son propriétaire habitait à une centaine de km de chez nous. Je lui ai immédiatement téléphoné. Il m'a dit que ce pigeon avait participé à une course dont le point de départ était le Sud de l'Allemagne. Tous ses pigeons étaient rentrés, sauf lui. Il m'a appris que cela arrivait qu'un pigeon ait besoin de se reposer pendant quelques jours. Il m'a assuré que quand il serait assez en forme il repartirait. C'était juste une question de jours. S'il ne rentrait pas, il viendrait le chercher.
Mais cela fait maintenant une dizaine de jours qu'il est là et qu'il s'incruste. Quand je sors sur la terrasse avec les graines, il se précipite vers moi comme une poule qui va chercher sa pitance auprès de la fermière. Et son maître semble se désintéresser de lui. Un pigeon voyageur avec un GPS en panne n'a sans doute plus d'intérêt pour lui.
Au début mon mari a trouvé comme moi que c'était amusant et il a supporté la présence de ce pigeon SDF pensant que c'était juste une question de jours, Mais il a fini par être agacé par les saletés qu'il faisait sur la terrasse. Un jour j'ai même eu la malchance de me trouver sous lui et il m'a fait caca dessus.
Mon mari m'a dit: "Si tu arrêtes de le nourrir, il s'en ira". J'ai tenu bon toute la journée.Il venait mendier devant la porte-fenêtre. Il montait même la marche et si j'avais ouvert, je suis sure qu'il se serait engouffré dans la pièce. Il avait l'air très en colère. Il faisait des mouvements verticaux avec sa tête et son cou en me lancant des regards furibonds. Il grattait la terre avec son bec comme pour me dire: "Tu vois à quoi j'en suis réduit".
Mon mari me disait: "Tiens bon, il va partir". Mais le soir est venu et il s'est mis à pleuvoir des cordes. Il est resté toute la nuit sur une poutre au-dessus de la terrasse dégoulinant d'eau, alors qu'il aurait très bien pu se mettre à l'abri sous un buisson. J'avais l'impression que c'était pour m'embêter ! Et son regard me poursuivait. J'ai repensé à ces vers de Victor Hugo: "L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn". Je vous assure qu'il me donnait mauvaise conscience. J'avais l'impression que St-Exupéry me soufflait à l'oreille "Tu es responsable de ton pigeon". C'est vrai qu'au début j'avais esssayé de l'apprivoiser.
Le lendemain il n'était plus là. Mon mari a triomphé: "Tu vois que j'avais raison. Le monsieur va sûrement te téléphoner bientôt pour te dire, comme il te l'a promis, qu'il est arrivé ". Je me sentais à la fois débarrassée et un peu triste, car je m'étais quand même attachée un peu à lui.
Mais le bonheur de mon mari a été de courte durée. "47" s'était simplement perché ailleurs et il a atterri à nouveau à mes pieds en levant un regard implorant vers moi. Enfin c'est ce que je me suis imaginé, car dans son regard il n'y a pas la moindre lueur d'intelligence.
Puisque cela n'avait servi à rien de le laisser sans nourriture pendant 48 heures, je n'ai pas voulu qu'il meure de faim et j'ai recommencé à le nourrir. Il a l'air attaché à moi, mais je ne me fais pas d'illusions: je suis juste pour lui un distributeur de graines. En fait rien ne nous lie à part le fait qu'il a besoin de moi. Mais comme le dit Émile Ajar alias Romain Gary: "On a toujours besoin de quelqu'un qui a besoin de vous"