Le plaisir de donner
Il y a une vingtaine d'années, nous étions en vacances à l'hôtel sur une île grecque, la Crète. Notre serveur, Yannis, un jeune homme très sympathique, parlait un peu anglais, ce qui nous permettait de bavarder avec lui à chaque repas. Au bout de 15 jours, nous avions établi des rapports presque amicaux avec lui. Un jour, j'étais revenue déçue du marché, car je voulais rapporter des figues au Danemark et je n'en avais pas trouvé. Je lui ai donc demandé où on en vendait. Il m'a répondu qu'il en vendait lui-même, car il venait d'hériter d'un petit lopin de terre où il récoltait des figues. Il ajouté qu'il m'en apporterait avec plaisir le lendemain. Il a tenu parole: dès que nous nous sommes installés à notre table, je l'ai vu arriver, un grand sourire aux lèvres, tenant un sac en plastique. A l'intérieur il devait bien y avoir trois ou quatre kilos de figues. C'était bien sûr beaucoup trop pour nous, mais je les ai acceptées quand même, car j'étais contente de lui rendre service. Il avait toujours été si attentionné, si chaleureux avec nous, que je voyais là l'occasion de lui faire gagner un peu d'argent, qui complèterait son maigre salaire. Mais quand mon mari a sorti son porte-monnaie pour le payer, il a protesté énergiquement: "Mais c'est un cadeau !". Mon mari a insisté en lui tendant un billet. Nous aurions accepté quelques fruits, mais pas plusieurs kilos. Mais soudain j'ai compris, en voyant le visage souriant du jeune homme se décomposer, que nous étions en train de commettre une grosse gaffe et qu'il ne fallait jamais refuser un cadeau, surtout venant d'un Grec. Yannis semblait vraiment blessé de notre attitude et j'étais désolée. Je ne savais pas comment réparer la situation. Je l'ai bien sûr remercié de tout mon coeur. Il a vu que son cadeau m'avait beaucoup touchée et que ce quiproquo était dû à ma méconnaissance de la culture grecque. Dans ce pays il faut toujours accepter tout de suite ce que l'on vous donne de si bon coeur, sans les politesses qui sont d'usage ailleurs ("C'est trop, je ne peux pas accepter, etc."). Sinon on risque de vexer ces gens si généreux. Au cours de promenades à bicyclette dans l'arrière-pays crétois, hors des lieux touristiques, nous avons souvent rencontré des paysans qui semblaient très heureux. Ils étaient pourtant très pauvres, mais ils tenaient toujours à nous offrir quelque chose: un fruit, un verre de Ouzo ou tout simplement un grand verre d'eau fraîche, qu'ils nous invitaient à boire dans la fraîcheur d'une pièce, dont la porte restait toujours ouverte.
Il y a quelques années, des nutritionnistes ont découvert que si les Crétois vivaient très longtemps et en très bonne santé, c'était grâce à ce qu'ils ont appelé "le régime crétois": de l'huile d'olive, beaucoup de fruits et légumes, peu de viande et du vin rouge, avec modération. Mais le secret de leur grande forme n'est peut-être pas seulement dans leur alimentation. Elle est peut-être due aussi à leur mode de vie sans stress et au fait que le plaisir qu'ils éprouvent à donner les rend heureux et donc plus résistants aux maladies.
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